Quel avenir attend la procréation assistée?

La journaliste du Devoir, Amélie Daoust-Boivert, publie un autre article aujourd’hui sur les intentions de gouvernement actuel à propos du programme public québécois de procréation assistée.
Avis aux couples infertiles: personne ne peut vous représenter mieux que vous-mêmes auprès du gouvernement. Faites connaître votre opinion.
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Quel avenir attend la procréation assistée?

Avec leur objectif budgétaire ambitieux, il peut être tentant pour Philippe Couillard et Gaétan Barrette de sonner le glas du financement étatique de la procréation assistée, un programme coûteux dont ils n’ont jamais été de grands défenseurs. Le statu quo n’est pas envisageable, mais quelles options sont sur la table ?

Dans son rapport remis il y a peu, le commissaire à la santé et au bien-être, Robert Salois, exclut de ses recommandations un abandon complet du programme public de procréation médicalement assistée (PMA). Une prémisse à laquelle n’adhère pas le ministre de la Santé, Gaétan Barrette.

«Mes recommandations seront calquées sur le rapport, à l’exception de la prémisse initiale qui est que, puisque nous l’offrons, on ne peut plus reculer», a-t-il averti lors de l’étude des crédits de son ministère, cette semaine. Visiblement heureux de s’exprimer longuement sur la question, il a indiqué que ce n’est pas le«programme» qui va être balisé, mais bien l’activité de la procréation assistée elle-même. «On n’avait pas besoin du programme pour réduire [les grossesses multiples et la prématurité], a rappelé le ministre. On aurait même fait mieux si on avait décidé de réglementer, d’interdire d’implanter plus de deux embryons à la fois.»

M. Barrette doit faire ses recommandations à la Commission permanente de révision des programmes pour l’automne.

Le ministre a trois options. D’abord, mettre fin unilatéralement au financement public. Deuxièmement, instaurer des tarifs, possiblement en fonction du revenu familial. Et finalement, maintenir le programme public, tout en instaurant des balises qui en restreindraient l’accès et les coûts. Balises qui, de toute façon, devront être mises en place, peu importe le chemin que la réforme prendra.

L’Association des couples infertiles du Québec se tient prête à contre-attaquer.«On essaie de se doter d’un plan d’action pour interpeller le ministre», dit sa présidente, Virginie Kiefer-Balizet.

Un peu d’histoire

Il faut se rappeler que le premier ministre et le ministre de la Santé actuels n’ont jamais été de fervents défenseurs du programme public de PMA. En 2008, alors ministre de la Santé, Philippe Couillard présentait le projet de loi 23. Ce dernier visait à encadrer la pratique, mais sans financement public, ce que réclamait l’opposition majoritaire.

Le 10 juin 2008 allait devenir une date pivot. En commission parlementaire, la vedette du petit écran Julie Snyder, enceinte, apostrophe Philippe Couillard. Elle l’accuse de ne pas prendre les revendications des couples infertiles au sérieux. Le lendemain, le gouvernement de Jean Charest, alors minoritaire, annule l’étude du projet de loi 23. Il refuse de céder aux amendements réclamés par l’opposition visant à ce que la RAMQ paie les traitements de fertilité.

Le Dr Pierre Miron se tenait ce jour-là aux côtés de Mme Snyder, venue témoigner au nom des couples infertiles. «Pour moi, c’était immoral que l’État limite le nombre d’embryons à implanter alors que c’étaient les couples qui assumaient les coûts», a-t-il raconté au Devoir la semaine dernière, lors d’une visite de sa toute nouvelle clinique de fertilité, à Laval. «Pour Philippe Couillard, qui s’opposait au financement public, ç’a dû être une rude journée. Il doit s’en souvenir…»

Le 21 juin 2008, Philippe Couillard annonce qu’il «réfléchit» à son avenir politique et quitte l’Assemblée nationale en coup de vent.

Le 25, c’est aux côtés du premier ministre qu’on le voit réapparaître. C’est terminé, annonce-t-il, démissionnant coup sur coup de son poste de ministre et de député, mettant un terme à cinq ans de vie politique. Le dossier de la PMA n’était certainement pas le seul moteur de ce départ, mais il marque la fin de son mandat à la Santé.

Après son départ, le vent tourne au PLQ : c’est son successeur, Yves Bolduc, qui proclame la gratuité des traitements en 2010.

Immédiatement, le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, Gaétan Barrette, fustige le projet. Au fil du temps, sa position s’assouplit. Quelques mois avant de faire le saut en politique, il affirmait, présentant un mémoire au commissaire à la santé et au bien-être, que la gratuité devrait être limitée aux couples présentant une infertilité «médicale»,par opposition à l’infertilité « sociale »qui concerne les femmes seules et les couples homosexuels, par exemple. Le but : mettre fin au « bar ouvert ».

Rentable ou non ?

En s’appuyant sur le rapport du commissaire, le ministre Barrette a avancé cette semaine que, contrairement à ce que défendait son collègue et ancien ministre de la Santé Yves Bolduc, il n’était pas certain que le programme puisse s’autofinancer en diminuant les coûts en amont, c’est-à-dire ceux engendrés par les grossesses à risques et les naissances prématurées ou multiples.

Selon les recoupements faits par le commissaire entre les différentes bases de données de Québec, bien que le pourcentage de nouveau-nés prématurés ou hospitalisés soit à la baisse, en nombre absolu ils sont toujours aussi nombreux (voir tableau). Normal : la gratuité a pratiquement fait doubler le nombre de bébés nés de la PMA chaque année. Les grossesses issues de la PMA génèrent aussi plus d’hospitalisations des mères et des bébés et de césariennes, des interventions qui ont des coûts — sans compter que les médecins touchent un supplément pour pratiquer une césarienne consécutive à la PMA.

Le commissaire affirme aussi que le taux de grossesses multiples, après la PMA, est toujours de 17 %, contre 35 % avant le programme. Étant donné que, pour la fécondation in vitro (FIV), le taux de grossesses multiples est passé à environ 7 %, la différence est vraisemblablement attribuable aux traitements de stimulation ovarienne. Ces derniers n’ont jamais été réglementés. Ils sont très susceptibles d’entraîner des grossesses multiples.

Le Dr François Bissonnette, président de la Société québécoise de fertilité et d’andrologie et médecin actionnaire à la clinique de fertilité OVO, exprime des doutes sur les statistiques du commissaire. Comment, en l’absence d’un registre — promis, jamais mis en place —, différencier les bébés issus de la PMA des autres dans ces statistiques ? Tant qu’un registre ne sera pas mis en place, il sera difficile de suivre le parcours médical des mères et des enfants passés par la PMA.

«Je sens qu’il y a une campagne pour faire porter l’odieux des décisions du gouvernement sur les fertologues, qui ont pourtant accompli les objectifs du gouvernement en réduisant les grossesses multiples, dit le Dr Bissonnette. Nous sommes d’accord pour qu’il y ait un meilleur encadrement, mais il ne faut pas nous faire porter le chapeau pour les décisions qui ont été prises!»

Les coûts du programme — près de 70 millions en 2013 — pourraient être mieux contrôlés, suggère le commissaire. Comment ?

D’autres pays dotés d’un programme public ont déployé diverses stratégies. Les habitudes de vie diminuant les chances de conception sont parfois ciblées : consommation de drogue et d’alcool, tabagisme, obésité, par exemple. Un âge maximal pour la femme, mais aussi parfois pour l’homme, peut être décrété, sachant qu’après 42 ans pour une femme les succès sont rares. En Belgique, selon l’âge et le nombre de tentatives précédentes, on restreint à un ou deux les embryons pouvant être implantés. Au Danemark, les couples qui ont déjà un enfant doivent payer pour les traitements.

Restreindre l’accès à la FIV au bénéfice de techniques moins invasives et moins coûteuses, comme le suggère le commissaire dans son rapport, est une idée à double tranchant. En effet, elle pourrait avoir l’effet pervers d’augmenter les coûts, puisque la stimulation ovarienne mène plus fréquemment que la FIV à une grossesse multiple, avec les risques et les coûts que cela comporte.

Virginie Kiefer-Balizet affirme que les couples infertiles sont d’accord avec l’idée d’instaurer des balises. «Il faut partir de données scientifiques sur les chances de succès, nuance-t-elle. Pourquoi abolir un programme quand on peut procéder à des ajustements? L’infertilité est en hausse, c’est une préoccupation de société. Oui, il faut considérer les économies qu’on peut faire avec le programme, mais rappelons qu’il y a retour sur investissement.» Comprendre: de futurs contribuables.

La charte protège les couples gais

Réserver l’accès aux couples hétérosexuels semble juridiquement délicat. Dans un avis préparé pour le commissaire, la professeure de droit à l’Université de Sherbrooke Anne-Marie Savard conclut, à la lumière de la jurisprudence, que ça ne tient pas la route. La Charte canadienne des droits et libertés a pour conséquence qu’un droit d’accès aux soins doit être offert «à tous de la même manière», écrit-elle. «Même en adoptant une limite d’accès en apparence neutre, basée par exemple sur un critère d’infertilité physiologique, il est loin d’être certain, voire improbable», qu’une telle limite passe le test de la Charte, ajoute-t-elle.

Ainsi, l’exclusion de l’infertilité sociale a peu de chances d’être retenue. «Nous serions en présence d’une discrimination indirecte, de surcroît basée sur un motif, l’orientation sexuelle, ayant fait l’objet de nombreux jugements», avance Mme Savard.

Cet avis rassure Mona Greenbaum, directrice de la Coalition des familles homoparentales. «S’il y a des coupes ou des balises, on souhaite qu’elles soient transversales. Pas qu’elles touchent seulement les femmes célibataires ou les lesbiennes», dit-elle.

 

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