L’effet nocif du tabac sur la reproduction humaine

Parmi les premiers articles à vous soumettre sur mon blogue, j’ai pensé qu’il serait utile de vous parler de l’effet nocif du tabac sur la reproduction humaine. Cet article s’adresse particulièrement à mes patients fumeurs que j’encourage souvent, avec plus ou moins de succès, à cesser de fumer.

Selon Statistique Canada, environ 20 à 25 % des personnes en âge de reproduction fument tous les jours. Au Québec, malgré des années d’efforts et de sensibilisation par nos gouvernements, la réduction de ceux et celles qui cessent de fumer stagne, comparativement à il y a 10 ans. L’Institut national de santé publique indique en effet que le taux de tabagisme au Québec se stabiliserait à environ 23 %, ce qui représente plus de 1,5 million de fumeurs. Les Québécoises fumeraient plus que les autres Canadiennes. De plus, près de 10 % des Québécoises non-fumeuses vivraient avec une personne adulte qui fume à la maison. Ces femmes sont donc aussi exposées à la fumée secondaire et à ses effets délétères sur la reproduction.

Le tabac contient plus de 4000 composés appartenant à des classes chimiques bien connues pour leur toxicité. L’effet nocif du tabac sur la reproduction humaine ne fait plus aucun doute et ses composés affectent à différents niveaux le système reproducteur tant chez la femme que l’homme.

Probablement par manque d’information, notre société en général connaît très peu les effets néfastes du tabagisme sur la fertilité. Seulement 47 % des couples infertiles et 14 % des femmes enceintes croient que le tabagisme altère significativement leur fertilité. De plus, trop peu de médecins, soit seulement 30 %, informent les couples et les encouragent à cesser de fumer.

Le tabagisme a pourtant été clairement associé à de multiples effets nuisibles sur la reproduction humaine, comme un début prématuré de la ménopause, un risque plus élevé d’infertilité et des taux plus faibles de succès en procréation assistée. Les risques élevés de fausse couche, de grossesse extra-utérine, de morbidité et de mortalité périnatale sont aussi bien documentés.

Effets du tabagisme chez la femme

Effet sur l’ovulation

La folliculogénèse est le processus de maturation du follicule ovarien et de son ovule. Elle mène généralement chaque mois à une ovulation. Le tabagisme nuit, à différents niveaux du système reproducteur, dont la folliculogénèse. Il accélère d’environ de 2 à 4 ans la ménopause. Les fumeuses ont des niveaux sanguins 66 % plus élevés d’hormone folliculo-stimulante (FSH). Cette hormone est sécrétée par la glande hypophyse et régule l’ovulation. La FSH s’élève généralement lorsque la réserve ovarienne en bons ovules diminue chez la femme.

Chez les fumeuses, le compte échographique de follicules antraux et les concentrations d’hormone antimüllérienne (AMH) sont significativement diminués. La croissance du follicule ovarien est aussi souvent compromise. Cela s’explique par des concentrations élevées de nicotine, de cotinine, de benzopyrène, de cadmium et autres métabolites toxiques du tabac, dans le liquide folliculaire. Les ovules exposés à de tels produits ont des taux plus élevés d’anomalies chromosomiques et de bris dans leurs acides nucléiques (ADN).

Morphologiquement, on observe sous microscope des ovules de moins bonne qualité. Plusieurs métabolites du tabac sont aussi des perturbateurs endocriniens qui modifient l’ovulation, autant par leurs effets oestrogéniques qu’antioestrogéniques. En fécondation in vitro, des doses plus élevées de médicaments sont requises pour stimuler l’ovulation. La durée du traitement est plus longue, les taux sanguins d’estrogènes sont plus bas et le nombre d’ovules recueillis est moindre.

Effet sur la fonction des trompes de Fallope

La migration normale de l’embryon dans les trompes de Fallope, vers la cavité utérine, est essentielle. Or, les toxines du tabac nuisent à ce transport en modifiant mécaniquement les contractions des muscles lisses et en diminuant la fréquence des battements ciliaires (dyskinésie ciliaire) des trompes de Fallope. Les grosses fumeuses (plus de 20 cigarettes par jour) ont ainsi 4 fois plus de risque d’avoir une grossesse ectopique (à l’extérieur de l’utérus), le plus souvent dans une trompe de Fallope.

Effet sur la fécondation

Le tabac est significativement associé à un délai de conception. Il nuit non seulement à la fécondation, mais également au développement précoce de l’embryon. Le stress oxydatif causé par les produits du tabac mène en effet à des instabilités chromosomiques bien documentées chez l’embryon. Il diminue significativement la probabilité pour un ovule d’être fécondé et pour un embryon de se rendre au stade de blastocyste (5-6 jours de vie). Les fumeuses traitées par la fécondation in vitro ont des taux plus faibles de fécondation en laboratoire. Elles obtiennent donc moins d’embryons par tentative et nécessitent deux fois plus de traitements pour concevoir. Même l’exposition à la fumée secondaire nuit aux chances de succès en procréation assistée.

Effet sur l’implantation de l’embryon

L’implantation de l’embryon dans la cavité utérine nécessite que la muqueuse utérine (endomètre) soit réceptive. L’effet nocif du tabac sur l’endomètre est connu et également documenté. Chez la femme fertile qui fume plus de 10 cigarettes par jour, le taux d’implantation embryonnaire est significativement réduit (26 %), comparativement à celle qui ne fume pas (32 %). Dès le premier trimestre, on retrouve en histopathologie plus d’anomalies placentaires. La perfusion vasculaire de l’utérus est perturbée ainsi que l’activité du muscle utérin, le myomètre. Tout ceci explique chez les fumeuses des taux plus élevés de fausses couches, de travail préterme, de retard intra-utérin de la croissance foetale, de placenta praevia, de décollement prématuré du placenta, de complications obstétricales en général et après la naissance, de mort subite du nourrisson.

Effets du tabagisme chez l’homme

Les produits chimiques présents dans le tabac affectent tout autant le système reproducteur mâle. Il est en effet clairement établi que le tabagisme masculin allonge significativement le délai nécessaire pour concevoir. Les effets délétères du tabagisme sur la fécondité masculine sont d’ailleurs trop souvent sous-estimés et banalisés.

Effet sur les paramètres du sperme

On note chez les fumeurs une diminution significative du nombre de spermatozoïdes, du volume séminal, de la motilité des spermatozoïdes ainsi qu’une augmentation des globules blancs dans le liquide séminal. La différence observée avec les non-fumeurs est de l’ordre de 20 à 48 %. En présence d’infertilité, les composés du tabac affectent également par d’autres mécanismes la qualité du sperme. La génotoxicité du tabac est indiscutable et des changements génétiques au niveau des cellules germinales ont été clairement démontrés chez les fumeurs. L’intégrité de l’ADN et la maturation nucléaire des spermatozoïdes sont toutes les deux compromises par le tabac. On a ainsi identifié des taux plus élevés d’anomalies chromosomiques dans les spermatozoïdes. Cesser de fumer aurait un effet rapide sur la qualité du sperme. Trois mois après l’arrêt, on note une amélioration substantielle de la concentration et de la vitalité des spermatozoïdes.

Effet biochimique sur le sperme

Un déséquilibre entre les concentrations de dérivés réactifs de l’oxygène, comme les radicaux libres, et les molécules antioxydantes a été observé dans le sperme des fumeurs. Plusieurs métabolites du tabac s’y retrouvent élevés, comme le cadmium, le plomb, le malondialdéhyde et les radicaux libres. De façon concomitante, les concentrations d’acide ascorbique (vitamine C) et de vitamine E et l’activité d’autres composés de défense antioxydante, comme la glutathion-S tranférase, sont significativement diminuées.

Effet sur la fécondation

La consommation masculine de tabac diminue de plus de 40 % les chances de succès en fécondation in vitro. Elle réduit également la probabilité pour une grossesse de dépasser la 12e semaine. Seulement quatre cigarettes par jour pendant deux ans réduisent la capacité du spermatozoïde à se fixer à l’ovule. Bien que la cause principale de ces perturbations soit une atteinte de la qualité du sperme, il a aussi été démontré que les femmes qui ne fument pas, mais qui vivent avec un fumeur, ont par exposition à la fumée secondaire, une réduction significative du nombre d’ovules recueillis en fécondation in vitro.

Effet du tabagisme sur la descendance

Tabagisme maternel

Le tabagisme maternel est manifestement associé à une augmentation significative d’une multitude de malformations congénitales chez la progéniture : malformations cardiaques, malformations musculo-squelettiques (réduction des membres, doigts manquant ou surnuméraire, pied bot), défaut de fusion des os du crâne, malformations faciales (fissure labio-palatine, défauts oculaires), anomalies digestives (gastroschisis, atrésie anale, hernie) et défaut de descente des testicules. La majorité de ces malformations associées au tabagisme ont un effet physique et psychologique, souvent à long terme, pour les enfants et les parents. Les coûts sociaux de ces malformations sont énormes et dépasseraient plus de 2 milliards de dollars annuellement, uniquement aux États-Unis.
Le tabagisme maternel affecterait également l’habilité future des enfants à concevoir. Ainsi, une forte association a été observée entre le tabagisme en grossesse et la réduction du compte total de spermatozoïdes des fils, à l’âge adulte. En ce qui concerne les filles, une étude a aussi démontré qu’exposées in utero, elles avaient une fécondité réduite à l’âge adulte.

Tabagisme paternel

Chez le mâle, l’exposition au tabac a été associée à une augmentation des mutations génétiques dans les cellules souches aboutissant à la production de spermatozoïdes. Ces mutations s’accumuleraient avec la durée de l’exposition et pourraient ainsi augmenter l’incidence de maladies génétiques chez les descendants. Une association entre le cancer chez l’enfant et le tabagisme paternel a d’ailleurs été confirmée.
En terminant, le cannabis présente également des effets délétères sur la reproduction humaine, autant chez l’homme que chez la femme. À la différence du tabac, il a une élimination très lente et ses effets délétères sont plus importants.

Résumé et Recommandations

  • Les femmes qui fument doivent être informées que cela réduit leur fertilité ;
  • Les hommes qui fument doivent être informés qu’il existe une association entre le tabagisme et la qualité de leur sperme et que cesser de fumer améliore leur santé reproductive ;
  • Les couples doivent être informés que la fumée secondaire nuit à leur chance de concevoir ;
  • Les couples doivent être informés que le tabagisme affecte négativement leur chance de succès en procréation assistée ;
  • Les couples qui fument doivent être informés que cela peut affecter à long terme la santé de leurs descendants ;
  • Les femmes et les hommes qui fument devraient se voir offrir l’accès à un programme d’abandon du tabagisme, qui supporte leurs efforts pour arrêter de fumer.

Pour ceux et celles qui fument et qui sont infertiles, le premier geste à faire devrait être de cesser de fumer, quitte à aller chercher l’aide qu’il vous faut pour vous sevrer de cette dépendance si nocive à votre santé reproductive.

Vous voulez vous libérer du tabac et avez besoin d’aide : consultez le site Web du Conseil québécois sur le tabac et la santé.

 

Publié le 7 juillet 2020 dans Insémination artificielle | Fécondation in vitro | Fertilité | Infertilité | Nutrition | Mode de vie

Dr Pierre Miron
Par : Dr Pierre Miron PhD, MD, FRCSC, Fertologue, Gynécologue

Le Dr Pierre Miron jouit d’une réputation internationale en fertilité, reproduction et assistance médicale à la procréation. Ce visionnaire a fondé trois programmes de fécondation in vitro au Québec au cours des 30 dernières années. Grâce à son centre privé de génétique humaine spécialisé dans le domaine de la reproduction, il a rendu accessible à toutes les femmes enceintes un programme unique de dépistage prénatal pour la trisomie 21 – un service auparavant inexistant au Québec. Le Dr Miron s’est toujours impliqué activement et publiquement pour la cause des couples infertiles. Il a notamment contribué à mettre en place l’Association infertilité Québec (ACIQ).

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